Depuis quelques temps déjà, nous entendons évoquer la notion de jeûne médical ou jeûne thérapeutique comme nouvelle approche de traitement, complémentaire voire alternative à la médecine conventionnelle.
Quels sont ses principes, ses bénéfices mais aussi ses dangers ?
Ce jeûne est-il à distinguer du jeûne légiféré ?
Est-il adapté à tous ou bien ne s’adresse-t-il qu’à une catégorie particulière de malades ?
Nous allons tenter ci-après d’apporter quelques éléments de réponse si Allah, gloire et pureté à Lui, le veut.
1. La diète ou jeûne préventif
De manière générale, les approches thérapeutiques se distinguent entre :
– celles qui appellent à l’absorption d’une substance (aliment, médicament…)
– celles qui rendent nécessaire l’extraction d’une substance (hijama, laxatif, vomitif, diurétique…)
– celles qui enjoignent l’éviction d’une substance
Ce qui nous intéresse ici est bien évidemment ce qui appelle à l’éviction d’une ou plusieurs substances sur une durée plus ou moins longue. Ceci est le principe de la diète qui peut ainsi être à visée préventive ou bien curative.
Ibn Al Qayyim dit à ce sujet : « La diète est de deux types : l’abstinence de tout ce qui entraîne la maladie ; et l’abstinence de tout ce qui l’augmente, afin qu’elle reste telle qu’elle est. La première est la diète des gens en bonne santé ; et la deuxième, celle des malades, car si le malade est à la diète, sa maladie cesse de s’aggraver et ses forces la repoussent » At-Tib an-Nabawi (p88).
« l’abstinence de tout ce qui entraîne la maladie…la diète des gens en bonne santé »
Ceci est le principe de la prévention primaire qui consiste à encourager le délaissement de certaines substances mais aussi de certains comportements dits à risques afin de prévenir l’apparition de maladies. Par ce principe, nous appelons, par exemple, à :
– diminuer la consommation de sucres rapides et de graisses saturées : chocolat, confiserie, pâtisserie, viennoiserie, fritures, beurre, crème fraîche, fromage, charcuterie… afin de prévenir l’apparition d’un diabète de type2 ou encore d’une hypercholestérolémie pourvoyeuse de maladies cardiovasculaires…
– bannir la consommation de denrées nocives dans l’absolu : tabac et dérivés, alcool…
– éviter certaines associations alimentaires nuisibles au long cours : café et lait, poisson et laitage…
« l’abstinence de tout ce qui l’augmente… car si le malade est à la diète, sa maladie cesse de s’aggraver et ses forces la repoussent »
Il est question ici de trois principes :
a) la diète en tant que prévention secondaire qui consiste à exclure ou réduire certaines substances afin d’éviter la récidive d’une maladie :
– limiter l’apport en protéines animales (viandes, laitages, charcuterie…) en cas de crise de goutte afin de prévenir sa récidive
– exclure une denrée en cas d’épisode immuno-allergique avéré (crise d’asthme, œdème de Quincke, urticaire…)
b) la diète en tant que prévention dite tertiaire qui consiste à limiter ou exclure des denrées afin de prévenir l’aggravation d’une maladie :
– limiter l’apport en sel en cas d’hypertension artérielle
– limiter l’apport en sucres et surtout en gras en cas de diabète
– limiter la consommation de thé en cas d’anémie prononcée
– limiter les aliments riches en fibres en cas de maladies inflammatoires des intestins en poussée
c) la diète, curative, en tant que traitement à part entière, destinée à aider l’organisme à se défendre et à résoudre un état de maladie.
2. La diète curative ou, plus communément, le jeûne curatif
Il se caractérise par son objectif curatif et par sa nature plus restrictive que la diète préventive.
Ibn Al Qayyim dit à ce sujet : « le jeûne est un bouclier contre les maladies de l’âme, du cœur et du corps, et ses bienfaits sont innombrables. Il a un effet étonnant dans la préservation de la santé, il dissout les excédents et empêche l’âme de consommer ce qui lui nuit, surtout s’il est appliqué avec modération et objectif, aux meilleurs moments religieux, et en fonction du besoin du corps » At-Tib An-Nabawi (p273).
Intéressons-nous à ce passage : « il a un effet étonnant dans la préservation de la santé…il dissout les excédents…surtout s’il est appliqué avec modération et objectif, aux meilleurs moments religieux, et en fonction du besoin du corps »
« avec modération », le jeûne est une thérapeutique difficile et contre-nature car le corps n’est pas habitué à la privation mais nécessite au contraire d’être nourri et entretenu pour assurer sa pérennité. Tout ce qui peut l’affaiblir doit donc être utilisé avec mesure de telle sorte que le bénéfice attendu soit supérieur au maléfice encouru. C’est ainsi que le jeûne total (abstinence d’eau et d’aliment) et prolongé (plus de 48h) est nocif et prohibé car la vie est menacée. Quant au jeûne légiféré, il allie avec sagesse l’abstinence et sa rupture.
Allah ta’âla dit : « Ne soyez pas la cause de votre propre perte »S2V195 et « Ne provoquez pas votre propre mort » S4V29
« et objectif », le jeûne à visée thérapeutique doit être motivé par un but. Il doit donc s’établir sur des éléments scientifiques attestant de son intérêt, de sa nature et de sa durée. Il doit aussi faire l’objet d’une observation et d’un suivi par le professionnel l’ayant prescrit afin qu’il s’assure que le ou les objectifs sont atteints. Il ne doit donc en aucun cas être entrepris sans clairvoyance sur le sujet.
« aux meilleurs moments religieux », ceci est un point important car avant d’inviter au jeûne médical, il faut d’abord encourager le jeûne légiféré ! Le jeûne du lundi et jeudi, le jeûne des 13e, 14e et 15e jour du calendrier lunaire voire aussi le jeûne de Dâwûd (salutations d’Allah sur lui) qui consiste à jeûner un jour sur deux ! Nul doute, en tant que croyants, que le jeûne légiféré doit être privilégié car il est un remède pour le corps mais aussi pour le cœur et la source d’une rétribution majeure. Enfin, il ne faut pas oublier le jeûne obligatoire du Ramadan.
Ainsi, il faut inviter à la préservation du jeûne légiféré puis des jeûnes dits thérapeutiques si nécessaire.
Pourtant nombreux sont ceux et celles qui s’adonnent, par la grâce d’Allah, à ces jeûnes légiférés, et plus particulièrement le jeûne du Ramadan, sans pour autant être les témoins de ses effets sur la santé, pour quelle(s) raison(s) ?
Malheureusement, la rupture du jeûne est le plus souvent accompagnée d’une consommation excessive de denrées hypercaloriques et inadaptées. Ces repas festifs, habituellement préparés dans la plupart des foyers observant le jeûne, expliquent, au moins en partie, la perte du bénéfice thérapeutique.
« en fonction du besoin du corps », en effet, tous les corps sont différents et tous ne sont pas habilités à supporter et à tirer profit de telle ou telle privation alimentaire. Ceci introduit la notion d’indication et de contre-indication à ces jeûnes.
« il dissout les excédents », comme nous le verrons, les meilleurs candidats à ce type de jeûne sont les individus présentant une pathologie de surcharge (surpoids, diabète, hypertension artérielle, athérosclérose…) ou une pathologie inflammatoire chronique (cancer, maladie auto-immune, rhumatisme, immuno-allergie…) et ne présentant pas de carence significative (anémie sévère, dénutrition…).
3. Approche scientifique du jeûne thérapeutique
3.1 Son principe
Depuis près d’un demi-siècle, nombreux sont les praticiens et les chercheurs ayant exploré, vérifié puis recommandé le recours au jeûne dans un but curatif.
– certains préconisent une diète totale en n’autorisant que l’absorption d’eau, les pionniers du jeûne dit « de l’eau » furent les russes. Les Pr Kokosov et Pr Maximov en démontrèrent les divers bénéfices dès les années 1970
– tandis que d’autres recommandent l’association de l’eau à des compléments de vitamines et d’oligo-éléments
– quant au jeûne dit de Buchinger, il associe l’eau à un régime hypocalorique sévère de 250calories/jour (jus de fruits et compote) qui permet d’atténuer les symptômes désagréables liés à la crise de céto-acidose (nausée, douleur abdominale…) observés durant les trois premiers jours d’un jeûne exclusif à l’eau
Généralement, le jeûne curatif est précédé par 3-4jours de préparation durant lesquels la prise alimentaire est réduite à moins de 500calories/jours en privilégiant fruits et légumes. De même, un traitement laxatif est prescrit afin de préparer le tube digestif à sa détoxification.
Puis le jeûne est entrepris, exclusif à l’eau/avec apports en vitamines et oligoéléments/sous forme d’un régime hypocalorique sévère, sur une durée allant de 2 à 40jours et une moyenne d’une semaine de traitement.
Ensuite, une réintroduction des aliments est effectuée progressivement en commençant par des potages et divers bouillons. Cette procédure est identique à celle préconisée au décours d’une intervention chirurgicale intéressant le tube digestif. En effet, une réalimentation brutale peut provoquer des vomissements mais aussi des spasmes abdominaux voire de véritables occlusions intestinales.
Quant au jeûne exclusif à l’eau, la durée de 40 jours établie comme plafond est issue d’un calcul des réserves de graisses chez un sujet en bon état général. On comprend ainsi qu’un individu avec des réserves plus importantes peut jeûner une semaine de plus mais on saisit aussi le danger qui guette celui dont les réserves en graisses sont insuffisantes s’il franchit ce pallier.
En effet, une fois les réserves adipeuses épuisées, l’organisme s’attaque rapidement aux réserves de protéines menaçant de ce fait la vie à court terme.
Ainsi, la durée du jeûne est établie selon nos réserves corporelles et notre état général.
3.2 Ses bienfaits
a) Action épurative et de détoxification
Le jeûne thérapeutique provoque, après quelques heures, une consommation des stocks de sucre et de graisse afin de pallier à l’absence d’apport de ces nutriments.
Ainsi, le foie subit une glycogénolyse afin d’extraire le sucre stocké en son sein tandis que les graisses subissent une lipolyse permettant la synthèse de glucose mais aussi de corps cétoniques. Ces corps cétoniques entraînent une acidification progressive du sang et l’apparition des symptômes dits de céto-acidose : haleine fétide, nausée, douleur abdominale, fatigue. L’absorption d’eau en bonne quantité (>2.5l/jour) contribue à « tamponner » cette acidité puis au bout de 3-4jours, des mécanismes de régulations mettent fin à cette crise d’acidose.
Les stocks de protéines sont aussi mis à mal et subissent aussi un processus de protéolyse afin de pallier au manque de sucre. Lorsque le jeûne est prolongé (>7jours) ou que les réserves en graisses sont faibles, cette consommation des protéines survient plus rapidement et entraîne un lot d’événements indésirables : baisse de la masse musculaire, sensibilité accrue aux infections, risque majoré de thrombose veineuse…
On comprend ainsi qu’un individu en surpoids verra ses stocks de sucre et de graisse diminuer ce qui, en dehors de la perte de poids appréciable (jusqu’à 500g/j dans le régime exclusif à l’eau), permet l’amélioration voire la résolution des maladies dites de surcharge tel que le syndrome métabolique (surpoids, hyperglycémie, sédentarité…), le diabète de type2, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, l’hyperuricémie (goutte), l’insuffisance veineuse…
Le Pr Michalsen, chef de service à l’Hôpital de la charité à Berlin, a ainsi montré des résultats intéressants dans le traitement complémentaire du syndrome métabolique et des pathologies cardiovasculaires non évoluées. Il a, par ailleurs, constaté une diminution de l’insulino-résistance, bénéfique dans les cas de diabète non insulino-dépendant.
Quant au Dr Mahmoud Al-Barcha, auteur de l’ouvrage « At-Tadâwi bi sawm » (la cure par le jeûne), 3 jours de jeûne exclusif à l’eau suffise à contrôler une hypertension artérielle non sévère.
De même, 15 jours d’un tel jeûne ont apporté des résultats intéressants dans les cas d’insuffisance veineuse tandis que les effets sur un diabète de type2 s’observaient lorsque celui-ci n’avait pas plus de 5ans d’ancienneté depuis son diagnostic. Ces résultats sont issus d’une expérimentation personnelle sur près de 3000 cas, en Syrie.
Inversement, les malades ayant des faibles réserves de graisse et de protéine seront de mauvais candidats à cette diète sévère sous peine de provoquer une altération de leur état général voire la décompensation de maladies chroniques (insuffisance cardiaque, rénale, hépatique…) pouvant menacer la vie à court terme.
A noter que la mise au repos du tube digestif a aussi une action laxative sur celui-ci participant au processus de détoxification.
b) Action neuro-végétative
Les analyses biologiques effectuées par le Pr Michalsen ont, entre-autre, mises en évidence une augmentation du taux sanguin de catécholamines tel que l’adrénaline, la noradrénaline, la dopamine mais aussi de la sérotonine qui est un autre type de neurotransmetteur.
Hormis leur implication dans le phénomène de la lipolyse, ces substances ont aussi une action sur l’humeur. Après la crise d’acidose, il s’installe une euphorie liée au relargage d’opioïdes endogènes consécutif à l’élévation du taux des catécholamines. Cette euphorie s’observe durant tout stress physique ou psychologique et aide l’organisme à faire face à une situation de danger imminent en stimulant son métabolisme. Le stress dont il est question ici est l’épreuve du jeûne.
Cette action stimulante sur l’humeur est telle que des résultats significatifs furent mis en évidence dans le traitement de névroses telle que la phobie ou le TOC mais aussi dans des cas de psychoses du sujet jeune, en l’occurrence la schizophrénie. Les observations effectuées à la clinique psychiatrique « Korsakoff » en Russie, dans son expérimentation du « jeûne de l’eau », ne sont pas passées inaperçues.
En aparté, nous savons que nombreux cas de névroses et surtout de psychoses sont en réalité le fait d’insufflations sataniques dominatrices +/- associées à des possessions. On remarquera que les patients atteints par ces maux dits « occultes » éprouvent souvent une grande difficulté à observer le jeûne légiféré. De plus, ceux qui parviennent à s’y appliquer sont en proie à une fatigue intense comme si le jeûne provoquait un affaiblissement psychique et physique inhabituel.
Pour ma part, il est clair que l’action du jeûne sur les pathologies anxio-dépressives et psychiatriques met en jeu une autre voie d’interaction impliquant les « djin » qui apparaissent ainsi particulièrement affectés par la diète, et Allah ta’âla est plus savant.
c) Action pro apoptotique (anti-cancéreuse)
Parmi les bénéfices soulevés par le jeûne thérapeutique, ceux observés dans le domaine de la cancérologie sont porteurs d’un espoir inattendu.
En effet, un article résumant les études réalisées à l’université de Californie du Sud par le Dr Longo, et son équipe, « Fasting cycles retard growth of tumors and sensitize a range of cancer cell types to chemotherapy » publié dans la revue « Science Translational Medicine » en mars 2012, ont permis de mettre en évidence deux principes :
– Les patients ayant observé un jeûne exclusif à l’eau, durant 2 à 5 jours avant une chimiothérapie, présentaient moins d’effets secondaires, fatigue et troubles gastro-intestinaux en l’occurrence, que les autres patients. Le jeûne permettrait donc de diminuer la toxicité de la chimiothérapie sur les cellules saines
– D’autre part, la sensibilité des cellules cancéreuses aux chimiothérapies était augmentée en raison d’un milieu doublement hostile à ces dernières : la restriction en glucose, source essentielle d’énergie des cellules tumorales, surajoutée à la toxicité de la chimiothérapie
Les modifications observées s’opéraient à l’échelle des gènes et associaient ainsi :
– Une réduction de l’activité cellulaire des cellules saines leur permettant de mieux endurer les restrictions environnementales en matière de nutriment. De plus, du fait de leur faible capacité de division en résultant, les cellules saines étaient moins sensibles à la chimiothérapie
– Une réduction des capacités de défense des cellules tumorales par leur incapacité à exprimer les gènes de protection, les rendant plus vulnérables et sensibles aux traitements
d) Action anti-inflammatoire
Les différentes études réalisées jusqu’à présent relevaient le bénéfice significatif du jeûne thérapeutique dans les pathologies rhumatologiques.
Dans ce sens, une étude de 1999 « Diet therapy for the patients with rheumatoïd arthritis » publiée dans la revue « Rheumatology » et menée par le dr Haugen, en Norvège, a mis en évidence l’existence de modifications cliniques et biologiques durant un jeûne médical chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR). Hormis les améliorations cliniques observées, le taux d’interleukine2 (Il2), une protéine de l’inflammation incriminée dans la PR, était aussi abaissé.
La possibilité d’un processus immuno-allergique était alors évoqué : la consommation de certains allergènes alimentaires, notamment ceux à base de protéines de lait de vache ou encore de gluten, indépendamment d’une anomalie génétique préexistante, pourrait expliquer la constitution d’une inflammation chronique responsable de pathologies diverses, notamment articulaires et dont le jeûne médical préviendrait la survenue.
Cette hypothèse nécessite toutefois d’être corroborée par des études complémentaires.
e) Action hématopoïétique (stimulatrice de la moelle osseuse)
Dans son ouvrage « The science and fine art of fasting », Dr Herbert M. Shelton décrivait un phénomène particulier, observé durant un jeûne exclusif à l’eau : les patients présentant une anémie, un taux d’hémoglobine bas, voyait leur taux croître. Pourtant, une carence d’apport en fer, en vitamine B12 ou encore en folates, consécutive au jeûne, devrait au contraire faire chuter le taux d’hémoglobine (Hb).
En réalité, une baisse du taux d’Hb est bien constatée dans les premiers jours suivants le jeûne et se caractérisant par une baisse du taux de globules rouges. Mais à partir du 15e jour de jeûne, le taux de globules rouges s’accroît progressivement. Le jeûne serait donc responsable d’une stimulation paradoxale de l’érythropoïèse (synthèse des GR).
Toutefois si l’anémie est importante (Hb<8g/dl) ou bien mal tolérée (fatigue, essoufflement), le jeûne ne peut être indiqué en raison des risques encourus dans la première quinzaine.
Cet ouvrage, bien que très ancien (1934!) est l’un des plus complet sur la question du jeûne médical exclusif à l’eau. Il doit toutefois être actualisé.
3.3 Ses contre-indications
Comme tout traitement, le jeûne curatif possède ses indications mais aussi ses contre-indications.
En voici les principales :
– La femme enceinte et celle qui allaite : les besoins énergétiques sont importants afin d’aider respectivement au bon déroulement de la grossesse et à la croissance du nourrisson. Un jeûne prolongé peut entraîner un défaut de maturation du fœtus appelé la microsomie, source de complications neurologiques et cardio-respiratoires. De même, le lait maternel verra sa composition modifiée et sa quantité se tarir en cas d’apports alimentaires insuffisants et pourra entraîner un défaut de croissance staturo-pondéral chez le nourrisson. Néanmoins, il est fréquent de voir des femmes enceintes avec une prise alimentaire difficile en raison des nausées et des vomissements auxquels elles sont sujettes sans pour autant voir leur grossesse compromise. Louange à Allah, il existe des mécanismes d’adaptation assurant le bon développement du foetus sous réserve que la mère ne souffre pas de carences nutritionnelles sévères.
Devant l’absence, à l’heure actuelle, d’expérimentations rigoureuses validant l’intérêt du jeûne médical dans ces catégories particulières de patients, la règle est l’abstention conformément à la règle de jurisprudence « dar al mafâsid muqadim ‘an jalb al masâlih », l’éloignement d’un mal prime sur la sollicitation d’un bien.
– Cas particulier de l’enfant : malgré leur besoin énergétique conséquent, dans certains cas de pathologies chroniques de l’enfant, une diète ne peut être exclue de manière absolue mais elle ne devra pas dépasser 3-4jours et être motivée par des objectifs concrets et fondés. Quant au nourrisson atteint de gastro-entérite, il est fréquent qu’il puisse s’abstenir de manger durant durant 3-4 jours en insistant sur une prise adaptée d’eau associée à des sels minéraux et du sucre telles les préparations d’hydratation orales.
Ainsi, nombreux sont ces nourrissons qui ont déjà expérimenté le jeûne particulier de l’eau! Il s’agit donc d’une contre-indication relative.
– L’existence d’une défaillance sévère d’organe telle que l’insuffisance cardiaque, respiratoire, hépatique et rénale. En effet, le stress hormonal provoqué par le jeûne entraîne une sollicitation accrue de ces organes et peut ainsi provoquer une mise à mal de ces derniers si leur capacité d’adaptation est affectée par des défaillances préexistantes.
– Les patients présentant un état de dénutrition avancé tel que les cas d’anorexie sévère, les cancers évolués, les pathologies provoquant une perte importante de protéines (syndrome néphrotique, cirrhose…)
– En cas de maladie thrombotique existante car la consommation des protéines augmente le risque de thrombose
– En cas de déficit immunitaire significatif ou de prise de traitement immunosuppresseur à forte dose car la diminution des stocks de protéines augmente aussi le risque d’infection
Toutes ce situations nécessitent d’être étudiées au cas par cas afin d’évaluer la balance bénéfice/risque. Si toutefois un jeûne était prescrit, il serait court et sous une surveillance clinique et biologique rigoureuse, idéalement en milieu hospitalier.
4. Expérimentation de savants reconnus
4.1 Shaykh Muhammed Nasr-din Al-Albâni
Shaykh Al-Albâni (qu’Allah lui fasse miséricorde) nous rapporte, dans Silsilat Al houda wa n-nour (K7 n° 373 et n°374) qu’il fut atteint, en Syrie, par un mal au niveau de la poitrine et de l’abdomen qui ne se dissipa pas malgré la prise de divers traitement prescrits par un médecin généraliste.
Après avoir pris connaissance de l’ouvrage du Dr H.M Shelton, shaykh Al-Albâni, convaincu de cette thérapeutique novatrice, décida alors d’entreprendre avec une ferme résolution un jeûne exclusif à l’eau durant 40 jours. Au terme de celui-ci, il avait perdu 20kg et avait aussi constaté la disparition de son mal. De ce fait, shaykh Al-Albâni recommanda à plusieurs reprises ce jeûne dans son entourage et les résultats furent satisfaisants. Il raconta entre autre l’histoire d’une femme dont l’état général s’était dégradé au point où elle ne parvenait plus à se mouvoir et se devait d’effectuer ses besoins au lit. Malgré les craintes justifiées de son fils à entreprendre une diète si restrictive, il s’exécuta et pu observer jour après jour une amélioration de l’état de sa mère jusqu’à ce qu’elle parvint à se mettre debout.
On remarquera, dans la K7 n°373 qu’il fut interrogé de la sorte « quelle est la preuve religieuse incitant à recourir à un tel jeûne ? », il répondit « non, il ne s’agit pas d’une position religieuse mais plutôt d’un avis médical de certains praticiens, tiré de la seule expérimentation ». Ainsi, shaykh Al-Albâni rappelle à son auditoire que le recours à ce jeûne n’est pas le fait d’une inspiration divine faisant partie intégrante de la législation islamique mais uniquement de l’avis de certains praticiens.
Il est important ici d’attirer l’attention des lecteurs que l’expérimentation du shaykh n’engage que sa propre personne. Sa position est donc critiquable voire même condamnable si la science le contredit. Ceci est donc à distinguer de ses innombrables efforts de réflexions sur des questions de jurisprudence ou d’authentification de récits prophétiques dans lesquelles il excelle et dont il a su à plusieurs reprises exposer sa pleine maîtrise, qu’Allah le rétribue par un bien.
Ainsi, j’invite nos frères et sœurs à faire preuve de retenue sur la question du jeûne médical et ne pas tenter de justifier abusivement son recours par la seule expérimentation du shaykh. Comme nous l’avons vu plus haut, ce jeûne n’est pas sans danger et tout le monde n’est pas habiliter à s’y apprêter.
4.2 Shaykh Muqbil Ibn Hâdi Al-Wâdi’î
Je pense que peu de gens sont au courant de ce qui va suivre mais l’histoire dramatique que notre shaykh Muqbil (qu’Allah lui fasse miséricorde) a vécue mérite d’être partagée.
Je rappelle que shaykh Muqbil souffrait d’une cirrhose C évoluée.
Voici le témoignage de Oum Salama as-salafya, l’épouse du regretté shaykh Muqbil, tiré de son ouvrage « Ar-Rihla al âkhîra lil imam al jazîra » édité dans les éditions Dar al athar-San’a, (p37-38) :
« Un médecin recommanda à shaykh Muqbil de s’abstenir de manger et de ne consommer que de l’eau de ZamZam durant 2 mois. Il l’incita à effectuer des analyses sanguines au préalable, le shaykh en était alors davantage convaincu. Le shaykh délaissa donc le miel dont il s’abreuvait, les plats qu’il appréciait mais aussi ses traitements habituels. Après quelques jours de jeûne, son état commença à se détériorer puis sa maladie s’aggrava progressivement jusqu’au 25e jour de jeûne où son ascite se majora à une grande vitesse au point de nécessiter une hospitalisation puis une intervention chirurgicale. Malheureusement, il ne se remit pas de cet état, qu’Allah le prenne en miséricorde. Après enquête, il s’avéra que le médecin prescripteur du jeûne était interdit d’exercice par le ministère de la santé au Yemen, qu’il conseilla ce même remède à plusieurs reprises et que nombreux trouvèrent la mort avant la fin du traitement. »
Voici donc un cas dramatique où le jeûne de l’eau fut prescrit sans tenir compte de l’état général du patient ni de la nature de sa pathologie.
Je m’explique, la cirrhose C est une maladie chronique liée à une contamination par le virus de l’hépatite C et provoquant une destruction progressive du foie. Hors le foie assure entre autre la synthèse de protéines dont l’albumine, une protéine essentielle dans notre organisme. La diminution du taux de cette protéine entraîne une fuite de l’eau depuis les vaisseaux sanguins vers le milieu interstitiel. Cette eau s’accumule ainsi au niveau des jambes mais surtout au niveau de l’abdomen, c’est ce que l’on désigne par l’ascite. Shaykh Muqbil était donc atteint par une insuffisance hépatique sévère à l’origine d’un état général précaire.
Du fait du jeûne de l’eau, les apports en protéines était inexistant chez un patient dont les réserves en protéines et en graisse étaient faibles de base. Le jeûne a donc provoqué une consommation rapide des stocks de protéines entraînant une majoration de l’ascite puis à terme une probable infection du liquide d’ascite du fait de la dénutrition sévère, rendant nécessaire la pose de drains abdominaux afin d’évacuer ce liquide infecté. Vu la dégradation rapide de l’état général, le jeûne aurait dû être interrompu précocement mais plus encore, il n’aurait jamais dû être prescrit !
Que chacun donc médite sur ce hadith de ‘Amr Ibn Shu’ayb (qu’Allah soit satisfait de lui) qui rapporte que le prophète (prières et salutations d’Allah sur lui) a dit : « Quiconque s’adonne à la médecine sans en connaître les enseignements assumera l’entière responsabilité des conséquences fâcheuses de ses actes » As-Sahiha (n°635)
De plus, le shaykh ne consomma pas n’importe quelle eau, il s’agissait de l’eau bénite de ZamZam, comment donc cela est-il possible ?
D’après Abu Dhar (qu’Allah soit satisfait de lui), le prophète (prières et salutations d’Allah sur lui) a dit, au sujet du ZamZam : « elle est bénite, il s’agit d’une nourriture qui rassasie » Muslim (7/152).
L’imam Ibn Al-Qayim dit dans Zâd Al Ma’âd (4/356) : « J’ai expérimenté, et d’autres que moi, les bénéfices du soin par ZamZam dans plusieurs maladies. J’ai aussi vu des gens se contenter du ZamZam comme nourriture pendant 15 jours ou plus et ils n’éprouvèrent pas la faim mais plutôt ils circumbulaient (autour de la Ka’ba) avec les autres. »
Néanmoins, comme le rappelle shaykh Muhammed Ibn ‘Omar Bazmoul dans son ouvrage « Akhlâq tabîb al muslim », chaque remède ne convient pas à tous les corps, : allons-nous recommander aisément la consommation de miel à un diabétique alors que cela déséquilibrera sa maladie ? Ou encore conseiller le recours fréquent à la hijama à un hémophile sous peine de le voir perdre des volumes importants de sang ? Non, il faut tenir compte de la particularité de chaque individu à pouvoir entreprendre tel ou tel parcours de soin.
Si le jeûne par l’eau bénite de ZamZam, l’eau la plus bénéfique que cette terre contient, n’a pas évité à certains une fin douloureuse alors que dire d’une eau minérale ordinaire ?
Ceci est donc un appel à la vigilance et à la responsabilisation, malgré l’engouement manifeste qu’il semble susciter, le jeûne thérapeutique est une démarche de soin à part entière qui ne peut être entreprise qu’avec science et discernement, et sous la supervision d’un professionnel de santé avisé sur le sujet.